En réunissant ces films pour le Festival de Biarritz en cette année d’espoir pour le Brésil, je me suis souvenu d’une chose qui m’impressionne toujours : la culture brésilienne est restée la meilleure forme de représentation du Brésil dans le monde, et ce alors même que le pays est traversé par une instabilité démocratique depuis 2016. Malgré ça, la culture brésilienne est restée vive et puissante.
Ouvertement attaquée par les gouvernements de Temer et de Bolsonaro, réduite, par ceux qui la méprisent, discréditée par des rapports, notes officielles et politiques destructives, la vérité est qu’au cours des six dernières années, la culture et les artistes brésiliens ont fait plus pour l’image du pays que la diplomatie brésilienne affaiblie.
En concevant cette sélection de films brésiliens, deux préoccupations ne m’ont pas quitté : le désir que ces films transmettent une idée et un état d’esprit du Brésil, sans tenir compte de la géographie, du sujet, du budget de production ou de l’année de sortie. Que ces films dépeignent un panorama humain et social varié, déroutant et asymétrique du Brésil.
La seconde préoccupation est l’indisponibilité de films que je chéris – ce qui en dit long sur l’état des collections brésiliennes. Cette situation a été aggravée par l’affaiblissement du Ministère de la Culture initiée sous le gouvernement Temer, et qui a débouché sur sa suppression dès le premier jour du mandat de Bolsonaro, le 1er janvier 2019.
Il est également important de rappeler que, sur cette même période, la Cinémathèque brésilienne a été abandonnée. L’indisponibilité de nombreux films qui ont plus de vingt ans en est une conséquence directe. Ces films doivent être convertis au format numérique moderne, qui est celui de présentation proposé par le Festival de Biarritz.
En sélectionnant cet ensemble de films, j’ai développé l’idée d’un album de famille, un album incomplet et divisé en trois parties. Les deux premières sont composées de courts-métrages, format qui m’est cher – pendant de nombreuses années, j’ai même cru que je ne réaliserai jamais de long-métrage !
« Corpos Brasileiros » est un programme de films des plus singuliers… Vereda Tropical (1977), de Joaquim Pedro de Andrade, explore l’amour d’un homme pour les fruits, en particulier une pastèque. Filmée sur l’île de Paquetá, dans l’État de Rio de Janeiro, cette merveille faisait à l’origine partie d’un long-métrage collectif intitulé « Coisas eróticas », représentatif d’un moment du cinéma brésilien qui considérait le sexe comme une frontière à abattre en pleine époque de censure opérée par la dictature.
Superoutro (1989), d’Edgar Navarro, est la seule concession que j’ai faite en programmant un film toujours en attente de conversion numérique et de travaux de conservation. L’inclusion de ce film est aussi l’expression d’un désir de le voir restauré.
Il retrace les aventures d’un super- héros solitaire dans les rues de Salvador de Bahia, utilisant le pouvoir des idées transgressives et de sa propre matière fécale. Réveille-toi, Humanité !
Sem Coração (2014), de Nara Normande et Tião, est un rite de passage aussi perturbant que magnifique, filmé dans des paysages dramatiques et spectaculaires qu’offrent les plages du nord de l’Etat d’Alagoas.
Les deux autres programmes de courts-métrages – “Maisons Brésiliennes” et “Genres Brésiliens” – invitent à goûter à l’intensité du cinéma réalisé au Brésil au cours de ces dix dernières années, période si fertile. C’est à cette époque que de nouveaux noms et points de vue ont commencé à enrichir le vocabulaire du cinéma brésilien, grâce à des politiques publiques pour l’audiovisuel.
Ce mouvement, interrompu ces dernières années, devra être rétabli dès que possible pour que l’on puisse voir de nouveaux films de réalisateurs et réalisatrices telles qu’Everlane Moraes, Vinicius Silva, Barbara Wagner et Benjamin de Burca, Juliana Rojas, Safira Moreira, Gregorio Graziozi et André Novais. Ce sont deux programmes vibrants et imprévisibles, sur le Brésil d’aujourd’hui. Je suis également heureux de pouvoir montrer les récents films de deux artistes chevronnés : Helena Ignez filmant son confinement à São Paulo, et Ivan Cardoso remerciant Roger Corman pour le collyre dans ses yeux.
Enfin, j’ai choisi dix longs-métrages qui couvrent 60 ans du cinéma brésilien, commençant symboliquement par Garrincha, Alegria do Povo (1962), premier film du grand cinéaste Joaquim Pedro de Andrade ( deuxième film sur cette liste).
Restauré il y a près de 15 ans, ce film sur le football ne montre pas Garrincha le joueur, mais Garrincha l’artiste. Il y a 60 ans, le Brésil remportait la Coupe du monde au Chili et Luiz Carlos Barreto (aujourd’hui âgé de 94 ans) entamait une carrière sans pareil dans la production de films brésiliens. D’ici deux mois, bien entendu, une nouvelle Coupe du monde nous attend. D’ici deux mois, bien entendu, une nouvelle Coupe du monde nous attend.
J’ai aussi souhaité proposer au public de Biarritz de découvrir les récentes restaurations de deux bijoux brésiliens, qui offrent d’extraordinaires expériences esthétiques et émotionnelles : Deus e o Diabo na Terra do Sol (1964) de Glauber Rocha, et Pixote, A Lei do Mais Fraco (1980) d’Hector Babenco. C’est une opportunité rare que de découvrir ces films sur grand écran, ainsi que le chef d’œuvre absolu d’Eduardo Coutinho, Cabra Marcado Para Morrer (1984), un documentaire qui a attiré un million de spectateurs dans les salles de cinéma brésiliennes.
J’ai la chance d’être régulièrement invité à concevoir des programmations spéciales, comme cette « Carte Blanche ». Et s’il y a bien un film que je ne me lasse pas de montrer, c’est cette puissante œuvre de Coutinho, évoquant la force destructrice de la violence politique. Sans Cabra Marcado Para Morrer, mon premier long-métrage, O Som ao Redor, n’existerait pas. C’est un film monumental.
Cette sélection de longs-métrages propose une transition progressive vers le présent avec cinq autres films qui retracent les bouleversements intervenus dans les paysages géographiques et sociaux du Brésil ; et dans la manière dont le cinéma brésilien regarde (et se regarde) les régions du Nordeste et l’intérieur du pays. Le Nordeste est, selon moi, un élément-clé pour comprendre une grande partie des tensions qui ébranlent mon pays.
Avec A Hora da Estrela (1987), adaptation du livre de Clarice Lispector par Suzana Amaral, et Cinema Aspirinas e Urubus (2005) de Marcelo Gomes (mon compatriote de Recife), nous atteignons la contemporanéité dans des portraits en très haute résolution de personnages brésiliens.
Que Horas Ela Volta? (2012) d’Anna Muylaert, est une chronique acerbe sur les différences de classes sociales et les inégalités géographiques, racontée à partir des changements du système éducatif. Ce film a été perçu comme un piège mémorable par le public de la classe moyenne qui fréquente les salles de cinéma des centres commerciaux, et qui est habitué aux comédies télévisées brésiliennes dans lesquelles la patronne est l’héroïne. La réaction de ce public et les résultats de cette confrontation sont inoubliables.
de cette confrontation sont inoubliables.
Arábia, de João Dumans et Affonso Uchoa, Azougue Nazaré, de Tiago Melo et Mato Seco em Chamas, d’Adirley Queiroz et Joana Pimenta sont des films qui, aujourd’hui, me semblent remarquables, car pensés depuis les États de Minas Gerais, du Pernambouc, et du Distrito Federal. Ils naissent de nouveaux regards et n’auraient tout simplement pas pu exister dans l’esprit, le discours, la représentation géographique et les structures de production de la filmographie brésilienne d’il y a 20 ans. Et ce sont des films magnifiques.
Pour terminer, je souhaite remercier Antoine Sebire pour m’avoir proposé cette invitation pleine de curiosité et de générosité. Toute programmation passe obligatoirement par la curiosité et la générosité, aussi bien pour celui qui la conçoit que pour celui qui la découvre. Je remercie également l’équipe du festival.
Kleber Mendonça Filho